lundi 16 juin 2014

Brésil, Brésil ! son foot et ses indiens - le gouvernement autiste



ICRA News

Plusieurs mouvements sociaux brésiliens profitent en ce moment de l’importance symbolique de la Coupe du monde de football pour exercer sur leur gouvernement des pressions de dernière minute. Le plus virulent d’entre eux est le mouvement indien même s’il tend curieusement à passer inaperçu à l’étranger. C’est aussi celui qui a, depuis longtemps déjà, prévu des manifestations dès le coup d’envoi de l’événement sportif, sans souci de leurs coups politiques auprès de l’opinion publique, conscient que cette “tribune médiatique” disparaîtra après la finale du 13 juillet, au nouveau stade Maracana (Rio de Janeiro).


On compte désormais près d’une mobilisation indienne par jour en divers points du pays. A chaque fois pacifiques, ces manifestations sont pourtant réprimées par la police, un usage systématique et démesuré de la force dont aucun autre mouvement social n’a à souffrir. Le 27 mai, la police a violemment dispersé une manifestation indigène à Brasilia, usant de balles en caoutchouc. On a même pu voir le vieux leader indien Raoni, le plus emblématique des chefs traditionnels, le plus “nobelisable”, victime de gaz lacrymogènes devant le stade Mané-Garrincha.

Si révolte indienne il y a pendant cette Coupe du monde, le gouvernement brésilien en portera la grande responsabilité. Car les divers gouvernements de gauche au pouvoir depuis 2003, sous les présidences de Lula da Silva d’abord puis de Dilma Rousseff depuis 2011, s’ils ont su satisfaire régulièrement les revendications des secteurs les plus marginalisés de la population, ont évité de s’attaquer aux menaces graves qui continuent de peser sur plusieurs communautés indiennes, s’aliénant les grandes ONG de ce mouvement et leur principal allié, le Conseil indigéniste missionnaire (CIMI).

Comment les Indiens en sont-ils venus à ranger une gauche de gouvernement, censée défendre les plus humbles, comme un adversaire des Indiens ?

Tout d’abord, le gouvernement, depuis 2003, s’est massivement appuyé politiquement sur la bancada ruralista, ces grands propriétaires terriens dotés de mandats électoraux. Voués notamment la culture du soja, dont l’exportation vers l’Asie garantit des revenus importants à l’économie brésilienne, ces propriétaires, très conservateurs, solidaires, ont accumulé un grand pouvoir politique et symbolique. Le plus emblématique d’entre eux est l’ex-gouverneur du Mato Grosso et le plus important producteur de soja au monde, Blairo Maggi, dont l’importance politique colossale pour le gouvernement lui a valu l’octroi de quatre matchs du premier tour dans sa capitale, Cuiaba, alors que des villes autrement plus peuplées ne figurent pas sur la carte du Mondial. Pour ces propriétaires, pour les éleveurs, pour les secteurs miniers, les Indiens continuent de représenter un obstacle à la concentration terrienne.

C’est dans le Mago Grosso do Sul que la situation des Indiens est aujourd’hui la plus dramatique. Les communautés guaranis ne trouvent aucun soutien véritable dans les différents niveaux de l’Etat brésilien. Sur les 60 chefs indiens assassinés au Brésil en 2012, près des deux tiers étaient guaranis. Harcelées par les propriétaires terriens et leurs pistoleiros, ces communautés sont aujourd’hui exsangues. Divers documents vidéo récents disséminés par CIMI montrent ces hommes de main ouvrir impunément le feu sur des manifestants guaranis, et parfois à l’intérieur de leurs villages. Un des grands échecs du gouvernement brésilien du Parti des travailleurs aura été son inhabilité, depuis 2003, à combattre l’impunité judiciaire en milieu rural.

A ces situations il faut ajouter la défaite récente de Belo Monte, où le gouvernement, passant outre aux violations des droits constitutionnels et internationaux des Indiens, a autorisé la construction d’un immense barrage hydroélectrique inondant des terres ancestrales de plusieurs communautés et, dès lors, empêchant leur capacité de reproduction sociale. Mais c’est surtout la proposition d’amendement constitutionnel PEC 215, un véritable “coup” anti-indien, qui pousse, en pleine Coupe du monde, le mouvement indigène à agir.

Cet amendement représente une menace potentiellement dévastatrice, non seulement sur les Indiens mais également sur l’écologie, menace dont on ne doit désormais plus s’étonner qu’elle vienne d’un gouvernement de gauche allié, à chaque rouage de l’Etat, à la bancada ruralista. Parce qu’il reformulerait les conditions d’obtention du statut de réserve indigène, cet amendement vise à satisfaire ceux qui convoitent les terres indiennes pour les exploiter. Sonia Guajajara, une dirigeante de l’Association des peuples indigènes du Brésil (APIB), en parle comme d’une menace d’extermination. La situation s’est envenimée le 3 juin, avec le refus désormais des représentants indigènes de participer à toute négociation avec le gouvernement, alourdissant les menaces d’un conflit social ouvert pendant la Coupe du monde.

On arrive donc à ce paradoxe qu’une série de gouvernements de gauche, portés par le Parti des travailleurs, a bafoué de façon systématique les intérêts et droits du secteur le plus démuni et le plus désarmé politiquement de la population brésilienne. Alors que les gouvernements de droite des années 1980 et 1990 pouvaient céder aux campagnes pro-indiennes et aux pressions de l’opinion publique internationale, ceux de gauche y apparaissent insensibles.

Que risque-t-il de se passer près des stades ? Des actions dans les capitales d’Etat les plus hostiles aux intérêts indiens, comme Cuiaba, sont improbables. Même chose dans les Etats sans large population indienne, comme Porto Alegre, Fortaleza, Natal ou Recife. Par contre, Manaus, Rio, São Paulo et surtout Brasilia, voire Salvador, font partie des plans désespérés des organisations indiennes pour attirer enfin l’opinion sur leur sort. Le plus grand défi médiatique pour le gouvernement serait que les peuples les plus capables de spectaculariser un conflit, notamment les Xavante et les Kayapo, se joignent aux manifestations.
Jean-Philippe Belleau
Professeur à l’Université du Massachusetts-Boston et membre du réseau des experts du GITPA pour l'Amérique latine
Article publié dans le quotidien Le Monde, le 12 juin 2014

Sao Paulo : l’étrange omission télévisée de la cérémonie d’ouverture

Un jeune enfant Blanc, une jeune fille Noire et un jeune garçon Indien sont entrés côte à côte sur le terrain du stade de Sao Paulo pour la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde, jeudi en fin d’après-midi. Ensemble, ils ont lâché une colombe blanche au milieu du rond central devant les centaines de caméras de télévision. Les joueurs brésiliens et croates applaudissent la scène. Le coup d’envoi est prévu dans quelques secondes.

Les trois jeunes messagers de la paix reviennent alors sur leur pas. Au moment de quitter le terrain, le jeune Indien met la main dans sa poche et sort une banderole rouge sur laquelle est écrit “demarcação” (démarcation, en français). L’image est forte mais elle n'est pas diffusée. Ce geste de protestation ne sera pas retransmis aux télévisions du monde entier.

Etrange omission. La petite banderole du jeune Indien de 13 ans est un appel au gouvernement fédéral de Brasilia pour qu’il poursuive et consolide la démarcation des terres indiennes au Brésil. Une lutte ancestrale qui connait ces dernières années une mobilisation toujours un peu plus importante en raison d’une intensification des procédures visant à réduire ou à affaiblir les droits constitutionnels des Indiens. Dans les Etats, les conflits fonciers et les expulsions de terres “réoccupées” par les Indiens, comme dans le Mato Grosso do Sul, s'enveniment. Des centaines de procès sur la délimitation des territoires se multiplient et paralysent le processus de démarcation de 90 % des terres indigènes.

Le jeune Indien habite dans le village - aldeia -  Krukutu, dans la région de Parelheiros, à l’extrême sud de la mégapole pauliste. Cette communauté vit dans des conditions précaires. Elle attend une décision du ministère de la justice pour obtenir un terrain plus grand.

Interrogé par l’hebdomadaire Carta Capital, le cacique de l’aldeia Fabio Jekupé a dit ne pas avoir été surpris par cette coupure de l’image : “Ils ne veulent pas voir ce genre de chose, ils veulent uniquement montrer la paix entre les peuples pour dire à quel point tout va bien, mais la réalité n’est pas celle-là.“ A ce jour, les organisateurs de la cérémonie d’ouverture n’ont pas réagi à la divulgation des photos du jeune Indien à la banderole rouge.
Nicolas Bourcier
www.bresil2014.blog.lemonde.fr

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