lundi 9 novembre 2009

Argentine : des femmes contre le soja

ICRA News

Selon une étude du chercheur Daniel Slutzky, du Centre d’études urbaines et régionales du CONICET, dans la province de Salta “jusqu’au milieu des années 90 les cultures traditionnelles étaient la canne à sucre, le tabac, les agrumes et les haricots. Ensuite, la culture des haricots a diminué quand le soja a pris de l’essor. Cet oléagineux occupe aujourd’hui plus de 50 pour cent des terres cultivées de la province et il ne cesse de s’étendre”. Une menace pour les communautés autochtones.
Le soja a apporté le déboisement. On estime que, depuis 1988, près de 2,3 millions d’hectares ont été déboisés. “Si l’abattage sans discrimination a démarré avec la culture du haricot, le soja en est aujourd’hui la cause principale.

En plus du déboisement, le soja a provoqué la concentration de terres, le chômage et l’expulsion. La hausse des prix de cet oléagineux et les nouvelles technologies ont rendu très rentables des zones marginales. Le prix de la terre et celui de la location sont restés faibles par rapport à la rentabilité potentielle, assez faibles pour compenser le surcoût de l’abattage et du transport jusqu’aux ports. Les besoins de la culture du soja en dimensions et en infrastructure ont rendu cette nouvelle affaire accessible uniquement aux moyens et grands producteurs.

En 2000, dix-neuf producteurs possédaient 95 000 hectares dont 25 000 appartenaient à un seul propriétaire. La concentration s’est accompagnée du renvoi de travailleurs. La modernisation technologique a permis de réduire radicalement les besoins en main-d’œuvre, qui sont passés de 2,5 à 0,5 journées de travail par hectare, ce qui représente une augmentation sans précédent de la productivité du travail. En contrepartie, l’exode rural a été considérable et les petits villages ont pratiquement disparu. Le lien traditionnel des grandes entreprises agricoles et des petits producteurs, dont beaucoup étaient autochtones, s’est rompu.

Les agriculteurs de subsistance ont commencé à trouver très difficile de compléter leurs revenus en travaillant comme salariés pendant la saison de la récolte de la canne à sucre et des haricots, ces activités ayant relativement diminué en importance. À la réalité des petits producteurs expulsés de leurs terres s’ajoute celle des peuples originaires, les Wichi par exemple. Certains ont émigré vers les banlieues de Tartagal, Embarcación et Salta. D’autres sont restés coincés dans des forêts qui rétrécissaient sans cesse.

C’est dans ce contexte que dix-huit communautés indigènes wichi et guarani de Salta ont présenté à la Cour suprême de la Nation une demande de suspension des nombreuses autorisations de défrichage délivrées par le gouvernement de la province. Celui-ci avait accepté, par l’intermédiaire du ministère de l’Environnement, des demandes de permis d’abattage et de défrichage concernant 807 509 hectares de forêt. Malgré les plaintes concernant la pollution, les maladies et les catastrophes naturelles provoquées par la destruction des forêts indigènes et bien que les communautés autochtones aient réclamé la restitution de leurs territoires traditionnels, le tribunal n’est pas arrivé à une décision définitive.

Fin décembre 2008 il a ordonné la suspension temporaire des permis d’abattage de la forêt indigène délivrés au cours du dernier trimestre 2007, jusqu’à la réalisation d’une étude d’impact environnemental qui devait être prête au bout de 90 jours.
Le 26 mars 2009, le tribunal a prorogé la mesure de suspension en attendant le rapport provincial, mais le déboisement s’est poursuivi : les entreprises ont continué d’avancer sur les territoires réclamés par les communautés et sur la forêt indigène.

Devant l’imminence de la résolution finale du tribunal, vingt femmes wichi et guarani ont décidé de se faire entendre. Fin juillet, elles sont allées de Salta à la capitale, pour “porter les réclamations NOUS-MÊMES, SANS INTERMÉDIAIRES, aux endroits où l’on prend les décisions concernant notre vie. Voilà pourquoi nous allons à Buenos Aires”.
Pour l’instant, la seule réponse aux revendications présentées auprès des municipalités provinciales a été le redoublement de la répression, de l’exclusion et de la discrimination.

Ces femmes, décidées à “prendre les armes de la prise de conscience”, annoncent qu’elles ne veulent pas être représentées par des organisations intermédiaires, “qu’elles s’appellent ONG ou autrement”. “Nous voulons crier ce que nous réclamons : nos terres et territoires que le défrichage est en train de dévaster parce que l’interdiction d’abattage de la forêt indigène n’est pas respectée”. “Nous nous retrouvons dans la misère, une misère qui n’est pas de notre faute mais qui est la conséquence de la déshumanisation qui domine chez ceux qui sont de l’autre côté, ceux qui ont profité de leur argent et de leur pouvoir pour nous accabler, qui ont poussé d’autres frères pauvres à nous envahir et à nous dépouiller eux aussi de notre territoire”.

Elles parlent des maladies dont s’accompagne le déboisement, telles que la leishmaniose dont elles ne savent pas se défendre parce qu’elles ne la connaissent pas. “Personne ne vient nous renseigner, personne ne vient nous instruire, et nous savons qu’aucun indigène ne participe à la formulation des programmes et des projets. ”

À Buenos Aires, le groupe de femmes a remis sa pétition à plusieurs organismes, dont la Cour suprême, la Présidence de la Nation, le Défenseur du peuple, la Chambre des députés, Amnesty International, l’Association américaine des juristes et l’Assemblée permanente des droits de l’homme. Mais il n’y a pas de répit : fin aôut, la Cour suprême de la Nation a décidé de “permettre la reprise des activités d’exploitation forestière dans les départements de San Martín, Orán et Santa Victoria”, une manière détournée de dire que le déboisement peut continuer dans le Nord de Salta et que la demande des communautés originaires a été rejetée.

Selon les femmes, la réponse qu’on leur a donnée est que “peut-être ce que nous sommes en train de dénoncer est en fait de la coupe sélective ou du reboisement. Après avoir vu les photos et les preuves de tout ce que nous disons, on nous a conseillé de suivre l’exemple de nos frères du Sud, qui sont des protecteurs des parcs nationaux ! À condition, bien entendu, d’avoir des titres de propriété ! C’est scandaleux. Ils ne nous ont donné aucune réponse, même pas de solutions de rechange”. Leurs paroles résument la situation : “Nous subissons en ce moment ce que nous avons toujours subi : la dépossession. Autrefois on nous attaquait au Winchester, au Remington ou au Mauser ; aujourd’hui, on lance contre nous ce système de culture du soja qui vient du Nord”.

Pour plus d'informations

Aucun commentaire: