dimanche 4 novembre 2012

Parures et objets de perles chez les Kali'na de Guyane Française : entre tradition et modernité.

 « Au moment des grandes découvertes, les navigateurs constatèrent que, partout où ils abordèrent, même dans les endroits les plus isolées, les indigènes portaient des parures. Comme si, partout, les hommes avaient senti le besoin de s'individualiser, de se hausser, par delà leur condition première. » Musée d'ethnographie de Genève.

La tradition en ethnologie, mais également dans le sens commun est une pratique qui dure dans le temps, qui se transmet de génération en génération. Mais une question se pose : comment l'ethnologue définit-il ce qui relève de la tradition et ce qui relève de la modernité ? En l'occurrence ici les objets et les parures de perles. A partir de quel moment parle-t-on d'un objet traditionnel ? Est-il traditionnel s'il est apparu avant la colonisation et son influence ou peut-on aussi parler d'objets traditionnels s'ils sont apparus avec la colonisation ? C'est la question que l'on peut se poser avec les parures de perles kali'na et les poupées de perles que nous avons étudié.

En effet, lorsque l'on s'intéresse aux parures de perles, c'est-à-dire aux colliers, aux bracelets et aux boucles d'oreilles,  on s'aperçoit que les femmes fabriquent les parures pour deux occasions. La première occasion est le quotidien, puisque les kali'na portent des bijoux, des parures comme vous et moi en portons tous les jours pour accompagner un vêtement, pour habiller et parer notre corps. C'est un bijou, une parure que l'on pourrait qualifier d'esthétique, uniquement portée dans le but d'habiller et de parer le corps. Cette parure, n'a le plus souvent aucune signification ou du moins aucune signification sociale, pour la communauté. Elle peut en avoir pour la personne elle-même, notamment au niveau des couleurs qui composent la parure. Ce bijou est donc fait selon les goûts de la personne et non selon des règles ou des codes propres à la communauté à laquelle le porteur appartient.


Photo d'une parure dont la portée est esthétique (Prise par Léopold Julie, 2012)


La deuxième occasion est celle des cérémonies, rituels, fêtes et manifestations dans lesquels la parure prend un tout autre sens. Nous avons pu constaté que la parure est fonction de différents critères. Tout d'abord, le type de parure qui sera porté sera fonction du rang social de la personne. En effet, s'il fait partie d'une famille dirigeante sa parure le marquera, ainsi que s'il est chamane par exemple, ou il peut également, pour une femme, signifier qu'elle est mariée puisqu'une femme peut prendre les couleurs de son mari. En effet, lors d'une cérémonie de la communauté, une famille portera la couleur qui la représente, ce qui la différenciera des autres familles. La famille du chef coutumier se distinguera des autres familles par la taille de ses parures, plus imposante. De plus, comme nous venons de le dire, les couleurs ont une très grande importance dans la parure de cérémonie. Les couleurs ont chacune une signification bien particulière et sont choisies par les personnes pour une inclinaison particulière à leur signification. Mais il faut toutefois dire que si la personne lors d'une cérémonie peut apparaître avec ses propres couleurs, lors d'une manifestation dans laquelle elle est membre d'un groupe, elle ne porte plus ses propres couleurs mais apparaît cette fois sous des couleurs qui exprime ses intentions. On peut donc dire que la personne s'efface au profit du groupe et de ses couleurs. Nous avons donc là pour l'instant trois critères déterminant la parure que sont : la situation, le rang social et l'inclinaison de la personne pour telle ou telle couleur.

Ensuite nous pouvons citer un autre critère qui figure sur les parures ou tout au moins sur les colliers et plus particulièrement les colliers masculins. En effet, ces colliers diffèrent des autres en cela que ce ne sont pas des colliers uniquement fait de franges mais faits d'une cocarde frangée. C'est sur cette cocarde que figure « l'animal » que chaque jeune homme se voit attribuer vers l'âge de la puberté par un chamane. Il y a donc dans le collier de cérémonie une très forte signification symbolique, puisque ces animaux viennent du ciel et renferment toute une symbolique en rapport avec le ciel et la terre, les esprits (défunts) et les vivants. Chaque animal du ciel ayant des caractéristiques propres que le chamane retrouve dans le caractère de l'enfant.

(Photo d'une parure masculine  prise par Léopold Julie, 2012)


Et enfin, la parure de perles fait partie d'un ensemble plus vaste et complexe de parure, qui est une triade: la parure de perles, la parure de plumes et le vêtement traditionnel de coton. En effet, malgré que nous n'ayons pas pu constater cela dans la réalité, nous avons pu voir sur de nombreuses photos que lors de cérémonies ces trois formes ou types de parures sont portées simultanément, il y a donc là encore matière à supposition, puisque l'on retrouve là encore, avec les plumes, l'élément du ciel qui recouvre une grande importance chez les Kali'na. La question serait : est ce que le vêtement de coton ferait lui aussi référence au ciel, ou serait-il plutôt en rapport avec la terre ? Ou aurait-il une signification tout autre ?

Parallèlement à ce côté technique de la parure, nous nous sommes penchés sur la question de la transmission, qui intéresse fortement les ethnologues, puisque ces cultures « traditionnelles » sont aujourd'hui prétendues menacées. Je dis prétendues, car c'est certainement le cas pour beaucoup de
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peuples, mais ce n'est pas ce que j'ai pu constater chez les kali'na. Une chose m'a frappé lorsque je suis arrivée chez eux. Je m'attendais à une culture en train de se perdre. Or c'est tout le contraire qu'il m'a semblé voir. Malgré tout le confort « occidental » qu'on peut trouver, comme un matériel technologique dernier cri, on constate que tous les enfants ont appris l'artisanat même s'il ne le pratiquent pas à des fins financières, que lors d'une cérémonie ou manifestation toutes les générations sont présentes. Je pense que les Kali'na sont un exemple, parmi certainement d'autres, d'une culture qui résiste, qui continue d'exister malgré une volonté d'assimilation qui est toujours d'actualité, c'est un peuple qui, je pense, arrive à jongler entre ce que les ethnologues appellent la
« tradition » et la « modernité ». 

Julie Léopold, secrétaire adjointe d'Aruana



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